Cela fait un moment que je me suis engagée à écrire cet article sur la précarité dans l’éducation nationale. Mais je n’arrive pas à démarrer. Cela tient au sujet, à la façon dont il me touche. C’est une réalité que je connais bien, que je pratique depuis des années. Plus précisément, c’est ma réalité depuis des années, à la fois souterraine et insaisissable. Parfois je me noie, parfois j’émerge - j’émarge. Une rivière aux berges abruptes. Image trop fluide pour rendre compte de ce contre quoi je me bats,
nous nous battons. Difficile à cerner. Peut-être tenter de
raconter.
I. Ce matin, V. du collectif profs précaires m’a appelée : il est en train de craquer. Son chômage va bientôt se terminer mais surtout le contact avec les élèves lui manque. Il a l’impression d’être inutile. On lui a proposé 9 heures de cours à 70 km de chez lui. En philo. Il est prof de français, il n’y connaît rien en philo mais on lui a fait
comprendre que s’il refusait, il pourrait être radié des listes
du rectorat. L’an dernier, il a enseigné dans un établissement
spécialisé. Normalement, les enseignants
titulaires du secondaire ne peuvent pas être affectés sur
ces postes: il faut une formation spécifique. Pourtant on
le lui a demandé. Et il l’a fait. Du mieux possible.